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Ecole des musiques actuelles

2004 Enseigner le Jazz par Daniel Beaussier

Colloque du CRJ Bourgogne sur la Formation Diffusion, contribution écrite de Daniel Beaussier, Musicien / Enseignant /Directeur de l’EDIM


1. Avant propos : du bon usage de ce texte

Ce texte n’a pas une autonomie propre, c’est un point de départ pour alimenter les débats et réflexions du 8/12/00.

Appréhendez-le plus comme un “head arrangement” associé à un réservoir de situations de jeu à développer oralement, ce qui en soi semble approprié au domaine envisagé : le jazz.

J’ai eu le souci d’aborder des questions délicates parfois mais de la manière la plus sereine possible afin que ce moment rare ou tant de personnes se réunissent pour réfléchir à une thématique concernant l’intérêt général, ne sombre dans le consensus mou ou la polémique stérile.

J’espère donc que mon approche rapide mais prudente de ce vaste sujet n’ouvre pas trop de portes ouvertes et n’engendrera pas de visions réductrices de mes positions sur ces questions complexes en devenir.

En revanche, l’importance de ce sujet au niveau de l’EDIM et aussi de la FNEIJ dont j’exerce la présidence, engendrera des textes plus officiels et muris d’ici la fin de la saison, enrichis certainement des propos de cette journée. Bonne improvisation.


2. Quelques réflexions sur les termes constituant l’intitulé du colloque

Jazz

Si la période de l’histoire du jazz de l’origine aux années 60/70 fait l’objet d' un consensus musicologique qu'illustre maintes études passionantes, ce consensus disparait fortement sur les courants postérieurs aux années 70. L’évolution actuelle très ouverte des pratiques musicales ne semble pas éclaicir la situation.

En tant que musicien, cette situation ne me préoccupe pas excessivement.

En effet, il semble que la catégorisation des musiques par sa syntaxe soit un outil dépassé pour aborder le 3è millénaire ( de même que la mécanique quantique a relayé au XXè siécle le déterminisme pour appréhender des phénomènes trop complexes ), et nous nous retrouvons plus sur une catégorisation par la fonctionnalité de la musique pour : 1) danser, 2) chanter, 3) écouter une musique de répertoire ou de l’instant , 4) accompagner des images ou une histoire, 5) servir un texte, installer une ambiance dans un moment convivial......

Le jazz se situe dans ses formes les plus actuelles dans la catégorie 3, bien que des formes plus codifiées remportent toujours un succès indéniable ( on continue de danser à La Huchette, ou d’entendre le son du jazz dans un vernissage d’exposition )

Cette approche pose clairement la question de la fonction sociale du jazz.  

Formation : rappel de plusieurs lieux/temps de l’apprentissage musical en jazz :

Autodidacte seul ou en groupe

Pendant longtemps, ce fut le seul moyen d’apprentissage. Les plus motivés ou doués y ont survécu, mais on ne peut se satisfaire d' une telle réponse face à la demande légitime de l’amateur de base.

Les stages et ou les créations pédagogiques

Ce sont des périodes courtes par rapport à la durée nécessaire à la formation d’un musicien ( entre 10 et 15 ans ). Moments de catalyse et de découverte précieux, ils ne remplacent pas un travail de fond que seule l’école peut procurer, et il faut veiller à ce que l’on ne se satisfasse d’un catalogue de stages mêmes menés par les plus brillants musiciens/pédagogue du moment.

Les écoles

Le jazz dans les conservatoires

S’il existe de remarquables départements jazz dans quelques ENM/CNR et bien sur les CNSM, il semble que la limitation à quelques enseignants ( de 1 à 3 ) dans de nombreux cas réduit l’efficacité pédagogique et empêche le franchissement de certains seuils qualitatifs. Tout repose souvent sur l’energie et la capacité de 2/3 enseignants d’une grande qualification et passion, mais qui se retrouvent souvent avec des ateliers d’orchestre devant accueillir plusieurs niveaux d’expérience

En dépit des efforts énormes de ces pédagogues , la classe de jazz reste souvent un alibi d’ouverture, dotée de moyens bien pauvres en comparaison de la structuration des pratiques classiques

Les écoles privées

Passée la phase de démarrage des années 80, notre décennie a vu un travail de structuration de ces écoles dans tous les domaines, la FNEIJ exerçant un rôle prépondérant indéniable dans cet effort.

Le nombre d’élèves réunis sur un propos commun permet souvent d’y atteindre une homogénéité et une rigueur des pratiques collectives (par exemple l’EDIM a cette saison environ 25 ateliers et orchestres de tout niveau et format ) mais la faiblesse des aides des institutions par rapport à l’enseignement reconnu dans cette mission d’intérêt général détourne souvent l’énergie de la tâche pédagogique première au profit de contingences quotidiennes assez triviales

La diffusion du jazz

Nombre de spécialistes ont publié des études brillantes sur le sujet, et je souhaite juste attirer l’attention sur le point suivant :

Ayant perdu sa fonction sociale initiale de danse , puis de musique animant “ le club” ou se mélangent intérêt musical, convivialité sociale et échanges intellectuels, le jazz est devenu principalement une musique de concert sans obtenir   les conditions de la musique savante européenne. A l’exception d’une petite minorité de grand talent, les opportunités de jeu se trouvent réduites alors que l’on constate un accroissement du nombre et du niveau des jeunes musiciens.

Face à cette situation, nombre de musiciens pensent que l’augmentation aveugle de subventions n’est pas la solution miracle, car le jazz y perdrait son âme et son esprit. Le milieu musical doit donc réfléchir à une fonction sociale à l’instar des musiques orales dont il est issu.

Le jazz : vers une musique d’école ?

Une fonction sociale récente du jazz que nous constatons dans nos écoles est celle d’outil d’apprentissage d’une efficacité redoutable de par la position de cette musique entre musique savante et populaire.

Si nous acceptons cette fonction par pragmatisme et par plaisir de propager régles et esprit de cette musique, il est tout aussi évident qu’une approche exclusivement pédagogique de cette musique par ses dimensions syntaxiques est une absurdité ( mon ordinateur fait des walking basses parfaites avec même du groove, mais ce n’est pas du jazz ). Elle ménerait au développement d’un jazz d’école : de même que la musique classique a connu ses traités d’harmonie contredit par tous les grands maitres, le jazz pourrait sombrer avec l’usage inconsidéré d’outils pédagogiques, par ailleurs de qualité, ( Real Book, Aebersold, méthodes encyclopédiques..............). Il convient de combattre cette déviation pour défendre l’essence de ce courant musical majeur du XXè siècle


3. EDIM

Principes pédagogiques de l’EDIM

Pour présenter l’EDIM plus complétement, quelques dossiers sont à votre disposition ainsi que dès 2001 des cahiers pédagogiques et un site internet

En revanche, précisons ce qu’on y enseigne :

Nous tentons de perfectionner un programme qui procurent les bases des musiques privilégiant oralité, rythme, improvisation, formulation assez précise mais un peu hermétique que nous remplaçons parfois sur nos tracts par : jazz et musiques actuelles, ou carrefour des musiques.

L’analyse de la syntaxe musicale des styles est largement pratiquée, non pour créer des mises en boite factices, mais pour établir des niveaux de complexité propre au langage des différents styles dans toutes leurs dimensions musicales : mélodie, harmonie, rythme, forme, espace, timbres....

On retrouve ainsi la complémentarité des musiques populaires et savantes, ces dernières nécessitant plus souvent un enseignement structurée de type “école”

Nombre de nos enseignants ont aussi un vécu appréciable dans la musique classique et donc l’interprétation de textes écrits ou mélodie et harmonie dominent n’est pas ignorée.

Si l’EDIM n’est pas une école de jazz, en revanche le vécu profond de la majorité des enseignants, la demande précise de nombre d’élèves, l’histoire de l’EDIM qui dans une première phase revendiquait ce terme spécialisé et l’ efficacité pédagogique de cette musique savante et populaire dans son essence font que nos propos invoquent très souvent les grands maitres qui nous réunissent : Duke, Miles, Monk, Bird, Bud...

Pourquoi ce lien formation/diffusion à l’EDIM

Argument Personnel

Je me suis engagé dans le secteur musical après une courte expérience d’ingénieur en informatique. De manière plus ou moins consciente à l’origine, un projet comme l’EDIM se devait d’être en totale cohérence et synergie avec ma vie concrète de musicien ( leader, instrumentiste, free-lance, compositeur...). Ce faisant, le développement d’un projet d’école intra-muros ou académique contredisait cette obssession de rester au coeur de la pratique musicale.

Argument Pédagogique

Dès le début de l’EDIM, le concept de réalisation artistique a été prépondérant , sinon formulé aussi clairement que maintenant: “ Il faut que çà sonne”, slogan non-subjectif appliqué à tout moment de la pratique.

L’application de cet axiome a conduit à baser un cursus ou le cours référent est l’atelier d’orchestre, et ou des cours spécialisés de base ou fonctionnels sont au service prioritaire d’un son d’orchestre qui respecte les codes plus ou moins énoncés des styles pratiqués.


Cette démarche est à l’opposé de celle consistant à   instaurer un programme supposé exhaustif et juste dont l’intégration amènerait fatalement au résultat artistique escompté.

Notre démarche repose donc sur la primauté donnée aux processus profonds d’apprentissage par rapport à une démarche syntaxique.

Dans le cas du jazz, musique à la syntaxe sophistiquée, la différence de méthode est fondamentale, spécialement pour les amateurs, car des situations de jeu exclusivement avancées ( ex typique : les standarts survolés/massacrés ) peuvent engendre un plafonnement durable à un niveau très bas.

Argument historique

La démarche exposée ci-dessus n’est absolument pas originale : elle se base sur une analyse des processus d’apprentissage des musiques traditionnelles reposant sur l’oralité, le rythme et l’improvisation. On apprend principalement en groupe avec des notions de compagnonage

Nous tentons seulement de l’adapter au profil de l’homme occidental moderne grâce à des outils intellectuels et pratiques simples mais puissants.

Il est clair en revanche que la forte division du travail ( compositeur, chef, soliste, musicien d'orchestre, enseignant ) établi dans la musique classique européenne a conduit jusqu’à une date récente à une démarche académique privilégiant le programme académique obligé ( théorie, culture, technique ) qui précède parfois largement la pratique.

De ce fait, le modèle intial du conservatoire, lieu de savoir modérement ouvert sur la cité, a joué un rôle de contre-exemple durant les premiers pas de l'EDIM, en dépit de notre envie de complémentarité et synergie avec ce secteur.

Argument Institutionnel

Le poids de l'enseignement musical classique en France ne correspond pas de toute évidence à la pratique d’écoute et de jeu prépondérante des citoyens français. L'évoluation sera lente, mais la confrontation de la réalité stylistique de la scène musicale ( diffusion ) avec les contenus et objectifs des écoles ( formation ) favorisera grâce au principe de cohérence ( quelles musiques pour quel citoyen ? ) cette nécessaire avancée.

Argument Sociologique

Les questions sur la fonction sociale des musiques pratiquées nous amène à concevoir naturellement un projet d’école dans la cité

Argument Ethymologique

( cause des arguments précédents plus qu’effet ) : L’intitulé développé de EDIM étant Enseignement Diffusion et Information en Musiques et sa création remontant à décembre 84, il semble clair que ce thème nous a interpellé dès l' origine.

Acquis et projets de l’EDIM dans la problématique diffusion/enseignement dans le jazz

Vie interne quotidienne de l’école

L’orchestre est outil pédagogique premier pour favoriser la réalisation artistique.

La validité du programme pédagogique est sans cesse confronté à la réalisté de la vie artistique et de la scène.

Auditions internes et concerts des élèves sont les premiers outils de validation pédagogique.

Actions extérieures

Le projet EDIM se base sur une vision de l’école et de la musique dans la cité.

De ce fait nous avons développé tous les types d’actions en ce sens ( voir la fiche actions extérieures )

concerts traditionnels et festival à Antony pendant 4 années.

animations et créations dans les écoles

  • fêtes de quartier de tout type
  • concerts/stages en bibliothèque


Précisons que notre localisation initiale à Antony en région parisienne, nous a confronté à maintes difficultés :

  • Politique des collectivités concernées faible

- Ville initiale peu favorable à la musique ( Antony dont nous sommes partis en 99 )

- Département plus axé sur la chanson

- La Région est venue tardivement à une politique culturelle active cohérente

  • Le parisianisme ambiant favorise peu la notoriété des actions pédagogiques de fond
  • Faible intéressement des médias pour la formation



4. Conclusion temporaire sur le lien formation/diffusion dans le domaine du jazz
.

Le développement de tout secteur de notre société moderne occidental se base sur le lien étroit, dynamique et équitable entre diffusion/production et formation. Cette évidence mérite d’être rappellée car on rencontre encore nombre d’acteurs ou décideur du secteur des musiques “actuelles” qui préfèrent s’en remettre à l’espoir de la génération spontanée pour voir éclore de jeunes talents ( il est aussi plus facile de contrôler des gens moins formés et peu autonomes ), si ce n’est certains vieux adages du genre : “pour swinger il vaut mieux être noir”.

Le jazz rentrant de manière prépondérante dans le champ des musiques savantes à l’issue de son siècle d’existence, on en arrivé au constat suivant :

Il y a une large demande pour la formation, car spécialement pour les amateurs, le franchissement de seuils de compétence est difficile seul et le besoin de structuration encadrée est fort chez l’apprenti musicien.

La syntaxe sophistiquée dominante de cette musique , liée à la faible diffusion dans les médias, la rend souvent hermétique au grand public. Ajoutons que l’offre pédagogique des écoles semble générer un moindre besoin chez l’apprenti musicien d’aller à l’écoute directe de cette musique par le disque, la radio et surtout le concert, spécialement dans sa proximité expérimentale du club.

Et pourtant, nous pouvons tous témoigner d’évènements ou les processus profonds du jazz bien amenés ( interaction, urgence de l’instant, musique en devenir, intention du musicien.....) permettent de toucher un public parfois néophyte.

La solution réside donc dans une réflexion profonde et appliquée quotidiennement sur le lien formation/diffusion et non en l’espérance que quelques actions de terrain ou stages perdus dans un coin de festival réveilleront un nouveau public latent. Les écoles ont aussi un devoir d’éducation pour amener les élèves aux sources de la musique vivante.

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